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Santé humaine et océan dans un monde qui change.

vendredi 4 décembre 2020

Une importante synthèse de connaissances, publiée dans la revue Annals of Global Health a été rendue publique à l’occasion de la rencontre de Monaco. Elle consacre une large place à la montée du niveau des mers, aux tempêtes plus puissantes, à l’acidification et à la perte d’oxygène, à l’effondrement de populations de poissons et d’espèces invasives : le changement climatique fait peser de nombreuses menaces, mais.... la montée en puissance des agents pathogènes est, elle, directement liée aux comportements des sociétés humaines et à leur colossale production de pollutions diverses.


L’état des océans se dégrade. Un groupe de scientifiques lance un nouvel appel au ton solennel depuis Monaco, jeudi 3 décembre, à l’adresse « des dirigeants de tous les pays et des citoyens de la terre entière ». Le contenu en est facile à résumer : il est plus qu’urgent d’arrêter de polluer le monde marin, il en va de la santé humaine, plus globalement de toute vie sur terre et de la préservation de la planète. Ce message d’alerte conclut deux jours d’un symposium intitulé Santé humaine et océan dans un monde qui change. Si les participants ont présenté ce que nous devons à l’océan : un apport de protéines animales essentiel – voire unique dans certaines îles –, et une alimentation saine, un remède contre la dépression, de nouvelles molécules pour la pharmacie…, ils ont aussi souligné ce l’on peut redouter.

Une importante synthèse de connaissances donc, publiée dans la revue Annals of Global Health a été rendue publique à l’occasion de la rencontre de Monaco et Le Monde , sous la plume de Martine Valo, a publié cet article :

" Ce copieux rapport est signé par une quarantaine de scientifiques, principalement américains et européens, et deux auteurs principaux : Philip Landrigan, directeur de l’observatoire pollution et santé du Boston College, et Patrick Rampal, président du Centre scientifique de Monaco."

Diarrhées, gastro-entérites et infections

"La pollution des milieux marins y est définie dans comme « un mélange complexe et en constante évolution de produits chimiques et de matières biologiques qui comprend des déchets plastiques, des polluants à base de pétrole, des métaux toxiques, des produits chimiques manufacturés, des produits pharmaceutiques, des pesticides et un mélange nocif d’azote, de phosphore, d’engrais et d’eaux usées ». Résultat : alors que « chaque centimètre cube d’eau de mer contient, en moyenne, un million de cellules microbiennes », tant les agents pathogènes marins naturels que les micro-organismes introduits dans les océans à partir de sources terrestres gagnent du terrain. Et ils ne se contentent pas de provoquer des diarrhées et des gastro-entérites. Ils sont aussi la cause d’infections oculaires et respiratoires, d’hépatites, d’infections de plaies, d’amnésie, de décès, et favorisent l’antibiorésistance.
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"Virus, bactéries et parasites avancent dans les estuaires et atteignent des régions du monde jusqu’à présent épargnées. Le groupe des bactéries Vibrio – responsable entre autres du choléra –, inquiète particulièrement car celles-ci s’étendent géographiquement, dans la durée, et deviennent plus virulentes. Ainsi, deux d’entre elles qui sont à l’origine d’infections sévères, voire de septicémie, apparaissent désormais durant les étés chauds dans les eaux froides, notamment de la Baltique et des côtes nord-ouest des Etats-Unis. Or les scientifiques constatent que l’incidence de ces contaminations double presque à chaque augmentation d’un degré de la température de la surface de l’eau. Ils peuvent donc prédire leur recrudescence sur une planète qui se réchauffe."

"Le rapport publie deux cartes significatives de la répartition des intoxications dues à la consommation de mollusques contaminés par une saxitoxine paralysante. Cantonnée à la côte ouest de l’Amérique du Nord en 1970, cette neurotoxine s’est répandue sur tous les continents en 2017. Elle est capable de paralyser la respiration. A de multiples reprises, ce travail de synthèse souligne les liens entre le changement climatique, qui rend les événements météorologiques toujours plus extrêmes, et ces pathogènes dopés par diverses pollutions. Par exemple, dix-huit personnes ont souffert de la contamination de leurs blessures par les bactéries Vibrio vulnificus ou Vibrio parahaemolyticus après le passage de l’ouragan Katrina en 2005. Cinq sont décédées."

Deux cents espèces d’algues toxiques

"Les ouragans, associés à des infections microbiennes et à certaines pollutions chimiques détruisent les mangroves, les coraux, laissant le champ libre au développement d’algues. Dans le Pacifique, l’océan Indien, ces dernières favorisent une microalgue qui produit une redoutable toxine : la ciguatera, un poison qui conduit ses victimes à l’hôpital et peut être mortel."

"« C’est un très gros problème en Polynésie, où certaines personnes sont intoxiquées jusqu’à quinze fois au cours de leur vie, rapporte Marie-Yasmine Dechraoui-Bottein, spécialiste de ces phénomènes et contributrice du rapport. Il est devenu impossible de manger du poisson dans certaines îles où c’était pourtant la base de l’alimentation. » La ciguatera est connue depuis des siècles, mais elle s’étend à présent, dans les Caraïbes notamment. Chaque année, 50 000 à 200 000 personnes en sont victimes dans le monde. Des cas ont été signalés en Méditerranée."

" « La Floride ferme parfois des plages à cause de prolifération de Karenia Brevis porteuse d’une toxine qui contamine le système respiratoire par aérosol  », Marie-Yasmine Dechraoui-Bottein, coautrice du rapport"

"Au moins deux cents espèces d’algues toxiques sont identifiées. Micro ou macro, qu’elles produisent des toxines qui paralysent, attaquent le système nerveux ou le foie, ou bien dégagent des gaz toxiques en se massant sur les littoraux, elles font l’objet de plus en plus d’études. Leurs efflorescences, qui se manifestent sous forme de marées rouges, brunes, vertes, constituent peut-être le signe le plus spectaculaire d’un milieu marin mal en point. « La Floride par exemple doit parfois fermer des plages à cause de prolifération de Karenia Brevis porteuse d’une toxine qui contamine le système respiratoire par aérosol, témoigne Mme Dechraoui-Bottein. Au Chili, il y a eu des manifestations de gens sans ressource après une efflorescence qui a tué des milliards de poissons, dont 20 millions de saumons d’élevage. »

"Les efflorescences sont de plus en plus sévères et leur fréquence augmente, dopée par les apports d’azote et de phosphore, le réchauffement et l’acidification de l’océan. Elles aussi touchent des régions qui en étaient exemptes : on a pu détecter des blooms d’algues dans l’océan Arctique. Or les Inuits ignorent bien souvent le risque d’intoxication qui les menace en mangeant baleines, phoques et oiseaux de mer, dans lesquels les toxines nocives se concentrent."

« Une bataille gagnable »

"Les auteurs illustrent la progression de ces phénomènes avec l’exemple de rivières très chargées en effluents agricoles en Chine, avec l’immense barrage des Trois-Gorges aussi, car la réduction des flots d’eau douce vers la mer et la modification de la turbidité semblent jouer un rôle. Ils citent les récentes efflorescences d’Alexandrium dans le nord-est des Etats-Unis et celles, massives, de Pseudo-nitzschia sur la Côte ouest qui semblent associées à une anomalie d’eau chaude. « Ces événements présagent des scénarios climatiques futurs », commentent-ils sobrement."

"Un chapitre du rapport est cependant consacré aux moyens de détection et même de prédiction des survenues d’efflorescences nocives qui progressent. En mêlent images satellites, suivi de températures, analyses de l’eau, il devient possible d’alerter les autorités et les populations du danger. Les scientifiques terminent d’ailleurs par une bonne nouvelle : puisque la pollution des mers vient pour l’essentiel de la terre, la contenir en traitant le problème des déchets et des eaux usées constitue « une bataille gagnable ». Ils citent entre autres le nettoyage du port de Boston et la restauration des coraux aux îles Samoa."

"Au Japon, dans la mer intérieure de Seto, les blooms d’algues rouges avaient été multipliés par sept entre 1960 et le milieu des années 1970 à cause des pollutions domestiques et industrielles. Le pays a voté une loi sur la qualité des eaux rejetées et les efflorescences ont commencé à diminuer en 1977, au fur et à mesure que la qualité du milieu s’améliorait. Malheureusement, les ruissellements de l’agriculture intensive ont pris le relais, générant des accumulations de phytoplancton."

Martine Valo Copyright Le Monde.