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Ne venez plus chez moi.
vendredi 3 mai 2019
Non, je ne vous inviterai pas à venir chez moi, piétiner mes sentiers, salir ses abords, y laisser vos détritus.
Partout où vous passez, vous détruisez le cadre qui faisait la beauté, la sérénité des lieux.
Ils ne sont pas dignes de vous. Vous ne savez pas les apprécier, vous ne les protégez pas.
Vous ne savez que les consommer, les selfier, les propager vers vos "amis" pour l’image non pas des lieux que vous bafouez, dont vous n’êtes pas à la hauteur de compréhension... mais pour votre seule image, celle, oiseuse, que vous vous faites du bonheur, du voyage, de la jouissance...
Mais cette idée du bonheur que vous véhiculez est une image frelatée , celle que vous vendent les agences de voyage, la société de consommation, celle qui vous pousse à aller toujours plus vite, plus loin, et parcourir au pas de course des lieux que vous ne cherchez même plus à connaître, mais que votre course infantile dégrade.
Ne venez plus chez moi, ne venez plus chez nous. Vous renchérissez ceux qui profitent de votre infantilisme, et ceux qui sacrifient leur pays pour leur seule fortune. Ne venez plus.
Laissez la quête de découverte à celles et ceux qui se documentent, font l’effort de découvrir, cherchent et enquêtent, qui font l’effort... mais l’effort savez vous encore ce que le mot signifie, vous qui avez un besoin permanent d’assistance ?
Vos flux aéroportés, largués comme un tapis de bombes, ne font le bonheur ni des majorités autochtones, ni des sols piétinés et pollués. Ils renchérissent la vie, créent des pénuries de parkings, logements, des urbanisations délirantes et stupides, tournées vers la mer...
Vous usez de norias de navettes bruyantes, polluantes et, assis et assistés, vous faites disparaître phoque moine et aigle balbuzard, vous créez des cimetières aidés par des bateliers qui tuent leur avenir...
Les parc nationaux sont confrontés à ces afflux de plus en plus délirants. Ils n’ont à opposer que leurs panneaux muséographiques aux portes des parcs, leurs sites numériques d’information, leurs plaquettes pédagogiques et leur ferme volonté d’être protecteurs et pédagogues.
Mais c’est une mission de Sisyphe, les débarquements se font par mer, sur des plages éloignées de toutes informations, de toute surveillance, et les taillis alentour ne sont que dépotoirs...
Non, la nature exige des êtres civilisés, et non des barbares.
Ne venez plus chez moi si vous ne changez radicalement vos comportements.
Que notre barque a tourné, cette nuit.
Le feu est presque éteint.
Le froid pousse le ciel d’un coup de rame.
Et la surface de l’eau n’est que lumière,
Mais au dessous ? Troncs d’arbres sans couleur, rameaux
Enchevêtrés comme le rêve, pierres
Dont le courant rapide a clos les yeux
Et qui [pleurent] dans l’étreinte du sable."
Cri du cœur, d’après un poème d’Yves Bonnefoy